Entre 2013 et 2018, la Martinique aurait perdu tant de ses résidents que le solde migratoire aurait retrouvé un niveau atteint à la fin des années 70, lorsque l’État français menait une politique incitative d’émigration (via l’ex Bumidom), principalement vers la France hexagonale.
Cette perte d’habitants est liée à de nombreux départs concernant majoritairement des jeunes poursuivant leurs études ou à la recherche d’un emploi. Nous avons toutefois tout pu observer depuis l’apparition de la covid-19, le retour d’enfants prodigues malmenés par cette soudaine crise sanitaire, mais la poursuite de ce déclin démographique reste malgré tout le scénario envisagé jusqu’à l’horizon 2030. En mettant de côté ce supposé vécu difficile du premier confinement, en quoi le « retour au peyi » serait difficile pour la jeune génération ?
Les contraintes et spécificités du marché du travail aux Antilles
Même si la Martinique reste en 2020 la région d’outre-mer la moins touchée par le chômage (juste avant la Guyane), le taux de chômage s’y établit malgré tout à 12,4% soit 4,4 points de plus que sur le territoire national. En Martinique tout comme en Guadeloupe, l’emploi des jeunes, premières victimes du chômage, est un véritable défi et un enjeu spécifique. Le chômage y est avant tout structurel.
Pour commencer, les marchés du travail y sont insulaires et par conséquent très étroits. De nombreux jeunes se retrouvent dans l’obligation de quitter leur territoire pour espérer trouver un emploi stable et pérenne. Beaucoup de secteurs d’activité (particulièrement dans le tertiaire) se trouvent être largement saturés sur nos iles.
Le marché du travail présente aussi une inadéquation entre l’offre et la demande de main d’œuvre.
En effet, Il existe spécifiquement aux Antilles un manque de qualification de la population en recherche d’emploi. En Martinique, de nombreux jeunes quittent le système scolaire sans diplôme et beaucoup de ceux qui travaillent ne sont pas diplômés, selon l’INSEE. Parmi ceux qui ne travaillent pas certains seraient tentés de quitter le territoire pour un premier emploi.
A l’inverse, le manque de filières spécialisées est une réalité sur nos territoires et pointé du doigt par nombre de brillants étudiants ayant choisi de se former à l’étranger et principalement en hexagone. Nombre d’entre eux deviennent surqualifiés pour des filières très spécifiques auxquelles ils n’auraient plus accès s’ils rentraient au pays.
Karukera. J’ai dû la quitter parce que mes projets professionnels n’étaient plus adaptés au « pays ». Comme je détenais une maitrise en droit à l’époque, il m’a été affirmé que je possédais trop de diplômes pour pouvoir rester en Guadeloupe : la surqualification. J’ai bataillé pendant près de deux ans dans l’espoir de trouver un emploi afin d’apporter ma pierre à l’édifice dans le paysage économique et social de ma chère Guadeloupe. Les désillusions ne se sont pas faites attendre. Rendez-vous sur rendez-vous à Pôle emploi. Une conseillère de cette institution m’a soutenu que mon projet de partir faire des études au Canada relevait de l’utopie. Quelques mois plus tard, à ma plus grande joie, j’ai été acceptée et j’ai décidé de partir. Aller simple vers Montréal.
Michelle Martineau, guadeloupéenne à Montréal
Idées reçues contre réalité
De nombreux étudiants préfèrent envisager leur vie professionnelle loin de chez eux avec l’idée reçue que succès et reconnaissance ne seront possibles que sur l’hexagone (au mieux à Paris). Ou alors d’autres évoquent l’absence d’évolution de carrière présentant de l’intérêt en Guadeloupe ou en Martinique. Ces idées reçues bien ancrées depuis l’enfance, invisibilisent les formidables opportunités de nos régions.
Le manque de transports en commun fiables sur nos iles n’est par contre pas de l’ordre du fantasme. De nombreux jeunes partis sans permis de conduire ne se préoccupent pas pendant leur études, de l’obtention de ce précieux sésame qui exige du temps et un véritable budget. Il s’agit pourtant d’un outil indispensable au retour au pays vu le manque criant d’infrastructures.
Dans le cas particulier des études médicales, beaucoup d’étudiants font le choix de ne pas revenir après leur externat. Au-delà d’une démographie médicale extrêmement préoccupante aux Antilles et en Guyane, il était urgent que les étudiants en médecine puissent faire la totalité de leur cursus au sein de leur région. C’était une demande forte de l’Université des Antilles (UA) depuis la création de la faculté de médecine, et dès septembre 2023, les étudiants en médecine antillais et guyanais ne seront plus contraints de s’envoler pour la France hexagonale pour effectuer leur externat.
Malgré tout, les jeunes médecins antillais n’hésitent pas à révéler qu’ils se sentent mieux en dehors de leur territoire en raison des rudes conditions de travail et de la mauvaise réputation des CHU, cristallisée par les évènements en lien avec la crise sanitaire.
La Guadeloupe et la Martinique vivent un fort déclin démographique. Même si le nombre d’enfants par femme est supérieur dans ces deux régions à la moyenne nationale, les nombreux départs concernant majoritairement les jeunes ont pour conséquence un vieillissement marqué des populations. Il existe d’autres problématiques aux Antilles qui n’affectent pas que les jeunes (la vie chère par exemple) mais il est clair que pour inverser ce déclin démographique qui paraît pour le moment inéluctable, ce sont toutes les spécificités de l’emploi et de la formation des jeunes générations qui doivent avant tout être prises en compte.
Alé vini, une association pour le retour en Guadeloupe
Malgré ces difficultés pour retourner sur leurs îles, Monsieur Ceranton fait savoir qu’ils ne sont pas seuls. En effet, une association a émergé en Guadeloupe depuis décembre 2019, il s’agit de Alé vini. Descendante de sa sœur Alé Viré, Martinique : terre d’avenir, son but est d’accompagner les jeunes dans leurs démarches de retour, en les coachant, en les mettant en lien avec les employeurs et faisant du lobbying auprès de l’État.
Selon leurs constats, il s’écoulerait une période de 5 à 15 ans avant qu’un jeune se décide à rentrer dans son île natale.
Mais quelles sont les principales difficultés qui freinant leur retour sur leur mère-patrie ?
Les causes seraient multiples et elles sont directement liées à la cause du départ. En effet, Émily Maureaux, diplômée en psychologie et étudiante en naturopathie, nous explique que le manque de formation, l’expérience requise, les salaires, la surqualification lors du retour au pays, le coût de la vie et le fait de devoir retourner vivre chez ses parents sont les principales causes de son non-retour.
Mais pour le sociologue Guadeloupéen Errol Nuissier, les causes seraient bien plus profondes, en effet il fait référence au « fanntchou ». Il s’agirait d’une notion ancrée dans les mentalités des antillais et ce, depuis de nombreuses années. Cela consiste à empêcher les autres de construire et faire en sorte qu’ils soient toujours en situation de faiblesse vis-à-vis des autres. En bref, nuire au succès de l’autre. Alors la solution serait d’accepter l’idée de bâtir en fonction de ses moyens et de « donner l’amour de la construction aux enfants ».
En bref, il voudrait pousser davantage les natifs à l’entreprenariat, les aider à monter leur propre succès. Bien que cette notion s’applique plus souvent dans le cas des entrepreneurs, elle peut être assimilée à toutes les causes qui font que les diplômé(e)s ne désirent pas rentrer.
Mais à part ne plus appliquer cette notion de « fantouchouisme », pour pousser les ultramarins à rentrer chez eux, il s’agirait de changer la mentalité de chacun, pousser la population à l’entreprenariat, se former ou d’étudier à ce qui répond mieux aux besoins du pays.
Il faut aussi accompagner et informer aux démarches parfois longues pour rentrer au pays, les natifs ayant parfois passé 10 ans à l’étranger à construire une vie.
Mais ce qu’il ne faut surtout pas oublier pour Samantha Lollia, étudiante à l’université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), c’est que « travailler sur l’île qui nous a vu naître où la majorité de nos repères se trouvent, donne l’envie d’y retourner ».